Pillars
Antoine Espinasseau
Les Pillars sont des objets sympathiques, ils nous semblent familiers. Peut-être éveillent-ils en nous une forme de complicité ? On semble déjà les avoir rencontrés mais ils diffèrent sensiblement de nos souvenirs.
En attendant de savoir à quelle mémoire il nous rappellent, ils se présentent à nous tels quels. Dans leur simplicité assumée – « what you see is what you see » disait Stella dans une apparente réduction tautologique, leur forme ne réfère pas directement à un usage particulier ; et dès lors ne convoque pas de signe de cet usage qui nous échappe, possiblement des « objets spécifiques » au sens de Donald Judd.
Cependant, leurs courbes familières et le vague souvenir qu’ils ravivent nous invitent à nous en approcher, à imaginer des manières d’en faire usage ; à s’en saisir, comme d’une structure inerte dont la valeur s’établirait à partir des actions possiblement imaginables. Ils deviennent des objets-matrices, des shifters d’imagination ; peut-être les pièces d’un jeu à imaginer, des bouées fossilisées, des traces archéologiques, les éléments d’architecture d’un monde à construire ou qui s’est déjà effondré …
Cette présence nous ramène à Andrea Branzi, et son plaisir à concevoir des objets domestiques a-fonctionnels, « qui pourraient donner une émotion à travers la cohabitation entre technologie et sacralité, où passé, présent et futur sont interchangeables ».
Cette cohabitation entre technologique et sacré, l’imbrication des temps se retrouve très clairement dans les Pillars. Leur géométrie, à la fois archaïque et sophistiquée, les projette vers l’origine (vers les espaces péristyles de l’Antiquité grecque ou égyptienne), mais aussi et simultanément – par leur épurement formel – vers une esthétique plus contemporaine, potentiellement futuriste. Leur matière – le plastique gris thermoformé – nous invite plus loin à les faire participer au système des objets de la première ère informatique quand apparaissaient les sursauts théoriques entre software et hardware. Les Pillars seraient donc des outils (hard) plutôt que des logiciels (soft) – nous rappelant donc à ces choses dont la fonction n’est pas exprimée par l’objet lui-même mais par ce qu’il contient. Coquilles qui renfermeraient donc dans leurs intimités, leurs fonctionnalités propres et leurs potentialités.
Une première piste d’émancipation. Les Pillars sont identiques mais ils sont aussi – donc, tous différents.
Pour autant ils se présentent à nous en groupe, ordonnancés. Ils s’avancent d’un seul bloc, à plat sur le sol.
Et semblent ainsi vouloir s’imposer comme forme signifiante, symbolique, architecturale. Les espacements entre les objets entre eux, et envers le sujet regardant composent des relations, de possibles interactions, les prémisses d’une histoire. Finalement, les traces minimales d’un édifice, l’amorce d’une promenade architecturale. Louis Marin, nous renvoyant vers Vitruve et ses traités d’architecture, nous rappelle aux trois modes de représentation de l’architecture, parmi lesquels l’ichnographie. Le dessin du plan.
« Du grec ichnos, empreinte. Le plan sur le sol au ras de sa surface n’est autre que la trace que laisserait l’édifice détruit par le temps (…). Le plan, dessin primitif du projet de construction est sa ruine; équivalence structurale parfaite où le passé et l’avenir se télescopent, l’origine et la fin s’annulent, à la condition toutefois que le temps, la nature ou les hommes poussent leur fureur au comble de ne pas laisser poindre au-dessus de la surface le moindre mur, la moindre colonne, la plus petite pierre sur la pierre ».
Gaétan Brunet
Plastique ABS thermoformé
Dimensions : 80 x 16 cm H.
Edition It’s Great Design / Antoine Espinasseau
Prix : 450 €
Crédits photo: Antoine Espinasseau, Romaric Tisserand